Naissance & Formation
Il y’a 92 ans, naissait au monde un personnage atypique dont les prédispositions intellectuelles et spirituelles allaient intimider l’égo du commun des savants. Nous sommes à Saint-louis, ancienne capitale de l’AOF, communément appelée la vieille ville. Centre de rayonnement de la présence de l’autorité coloniale, elle demeure aussi une cité symbolique en ce sens que différents savants s’y côtoient au nom de la sagesse musulmane. Le 29 décembre 1925, cette contrée vit venir un monde l’homme que la conscience collective juge aujourd’hui comme «celui qui avait compris », parce qu’ayant prédit le chaos qui peint l’atmosphère du Sénégal actuellement.
On ne présente plus le mythique et mystique Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy. Fils de Sokhna Sokhna Astou Kane et de Serigne Babacar Sy, il fut confié à son oncle Serigne Abdoul Aziz Sy pour son initiation aux études coraniques. Ses contemporains retiennent de lui un apprenant qui n’eut aucun mal à assimiler les écritures coraniques. Dès l’âge de 14 ans, il acheva l’apprentissage des sciences islamiques avant de s’ouvrir à d’autres formes de savoir. Passionné de poésie, il publia son premier livre, un recueil de poèmes intitulé les vices des marabouts alors âgé de 16 ans. Une passion qui fit dire des années plus tard à Cheikh Abdoulaye Diéye, chef politique et guide religieux, qu’il se sentait émerveillé, en tant que poète, par le style d’Al Maktoum. « Son tout est poésie, de son habillement à son gestuel, en passant par son verbe évocateur. » D’autres ouvrages comme Le Calif et les Califs, l’Inconnu de la nation sénégalaise ou encore poches trouées vinrent s’ajouter à sa bibliographie.
Un Homme d’Affaires Averti
Homme d’ouverture, sa conceptionon de la responsabilité du musulman convaincu s’apparente à une prophétie remarquable : « La religion ne doit pas rendre neutre son sujet aux travaux de réforme mondiale. (…) Apprendre ses devoirs religieux et les mettre en pratique n’exclut nullement les travaux manuels et d’esprit qui conduisent à l’amélioration du sort de l’humanité. C’est là un autre champ qu’il ne faut pas fuir pour aucun prétexte». Voilà pourquoi l’homme à la djellaba s’est toujours illustré comme un personnage atypique parce qu’incarnant de multiples facettes. Ainsi, il effectua son premier voyage à Paris en 1955. Considérant la pratique d’une activité économique comme une école de la vie, il exerça plusieurs métiers dont celui de transporteur, de commerçant, d’agriculteur, avant d’initier ce qui demeure comme l’instauration d’un empire financier : la Sococim. « Je l’ai mis sur pied par la grâce d’Ababakar SY. Je me suis rendu à une banque européenne où je pus bénéficier d’un prêt de 16 milliards. L’on m’accorda le privilège de ne fournir aucune garantie, et d’opter pour deux formes de paiement : une période de 7 ans contre une autre d’une quinzaine d’années. En suivant le conseil d’un proche, j’optais pour le premier.»
Une Œuvre Socio-Polique Incommensurable
Sur le plan socio-politique, il fit preuve d’une citoyenneté au vrai sens du terme. Après avoir créé le PSS, il s’engagea dans une lu e sans merci contre l’intégralité des inconvenances dictées çà et là au peuple sénégalais. Et le Calif Ababakar Sy, à la fin des années 50, de plaider pour une position de non indépendantiste, comme s’il avait vu venir le mal. « Je suis français aujourd’hui. Je le serai encore demain. Pourquoi ne pas accorder une double nationalité à un homme doublement colonisé ? », déclara-t-il. Ce à l’élan réformateur ne fut guère prise en compte par le Président Senghor. «C’est ce qui est à l’origine des tracasseries des nègres en France », rétorqua Serigne Cheikh Tidiane Sy plus tard en 1994. L’on se souvient encore des manifestations de 1959, et des écrits de Maitre Boubacar Diop, avocat défenseur et secrétaire général du P.S.S : « Par cet acte de lâcheté suprême, le gouvernement ne visait que Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy, le leader incontesté du PSS ; l’homme qui a eu le courage civique de dire « NON » à Mamadou DIA et à Senghor, l’homme qui est resté debout dans la tempête, l’homme qui a refusé et qui refuse de se soumettre à plat ventre devant le gouvernement des Bénis garde-à-vous!…Cette action est mauvaise, et elle ne fait que traduire le désarroi de nos gouvernements qui prennent leurs rêves et leurs désirs pour des réalités, Le PSS est plus solide que jamais. Il proclame hautement son attachement à la communauté Franco—Africaine, et son adhésion à l’action du général De Gaulle. » Quelques années plus tard, il fut nommé ambassadeur au Caire. Mission qu’il mena avec la rigueur qu’elle mérite, bien qu’il fut accusé de «fautes de gestion et d’approchement inquiétant avec les milieux arabo-musulmans » par ceux-là qui lui refusaient sa démarche utile, raisonnable et juste, qu’il s’agisse des autorités françaises ou encore des pro-Français dans l’entourage de Senghor.
Un Patrimoine Intellectuel Authentique
En catalyseur de l’équilibre social, Serigne Cheikh lança l’Association pour l’Education Islamique en 1955, en plus d’un journal intitulé « islam éternel ». Une initiative à laquelle s’ensuivit une série de conférences, sur les plans politique, social, religieux, culturel et scientifique. Le conférencier de talent pérennisa une telle œuvre, et ceci pendant 56 ans. C’est en effet en 2011 qu’il tint sa dernière sortie publique. La conscience collective se demande aujourd’hui s’il n’a pas pris un bail pour la postériorité. Dans tous les cas, son legs comporte des connaissances intellectuelles qui ne peuvent qu’émaner d’un pôle du savoir à la grandeur remarquable. Il ne s’agit plus seulement de s’initier aux réalités de l’univers, mais de s’intéresser à l’inter-universalité, d’autant plus qu’il cite aussi bien les penseurs de chez nous que ceux de la métropole, mais aussi les forces de l’autre galaxie, et avec eux l’intégralité des « espaces intermédiaires » pour peindre la grandeur de l’œuvre de l’existence du maitre des cieux.