La question des radicalismes religieux occupe le terrain médiatique mais « préoccupe aussi les sociétés musulmanes contemporaines » comme dit Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy, coordonnateur du Comité Scientifique du Gamou de Tivaouane. Au moment où la cité de Cheikh El Hadji Malick Sy s’apprête à accueillir le Gamou annuel initié il y a plus d’un siècle, les préparatifs du Symposium annuel du Mawlid vont bon train. Il se tient, cette année, le dimanche 20 décembre à Tivaouane dans le sillage de l’inauguration de nouvelles infrastructures telles que la grande salle de Conférence devant accueillir l’évènement et mobilise de nombreux experts, universitaires, personnalités de la société civile.
Serigne Cheikh Tidiane Sy a bien voulu, nous accorder cet entretien sur le sens et la portée d’un tel événement qui aura la particularité de voire cette année, la participation d’éminents universitaires et experts sénégalais comme étrangers avec une plus large ouverture des débats à la société civile, à toutes les confréries et organisations islamiques.
Pourquoi la thématique des radicalismes pour un Symposium du Mawlid ?
Vous savez l’esprit du Mawlid tel que l’avait initié Cheikh El Hadji Malick Sy était d’en faire un rendez-vous annuel d’échanges et de discussion sur les sujets les plus divers concernant la communauté. Tous les Muqaddams que Cheikh El Hadji Malick Sy avait formés et éparpillés dans leurs régions d’origine se rendaient ici, à Tivaouane pour que les questions importantes de l’année soient débattues et qu’un message sur les grandes orientations de la Hadra soit délivré à toute la communauté et au-delà. C’est cet esprit que nous cherchons à perpétuer depuis plusieurs années.
Dans cette logique, une question aussi cruciale que l’extrémisme violent ne pourrait passer sans que nous nous y penchions sur toutes ses dimensions pour éclairer l’opinion sur la position des différentes composantes de la Oummah mais aussi débattre des issues possibles. Car il est urgent que nous agissions ensemble.
Ce Symposium se tenait habituellement à Dakar, pourquoi Tivaouane cette année ?
C’est hautement symbolique pour nous et cela fait sens, aussi, au niveau de toutes structures de la Hadra de Tivaouane. Le Comité scientifique du Mawlid a fait le constat selon lequel cela faisait plusieurs décennies que l’école de Tivaouane n’a cessé de contribuer aux grands débats qui traversent la Oummah islamique. Sans parler des autres sommités et intellectuels de la famille de Cheikh El Hadji Malic Sy et de son école, rien que Serigne Abdoul Aziz Sy Al-Amine a dû participer depuis quarante ans à des dizaines de conférences internationales et à des fora de la Oummah en parcourant infatigablement le monde musulman à la recherche de solutions à ses crises multidimensionnelles. Nous avions jugé qu’il était grand temps que la Oummah, à travers les représentations diplomatiques, les institutions universitaires et de recherche, les organisations panislamiques, les intellectuels, puisse entendre la voix de Tivaouane sur une question aussi cruciale et d’une brûlante actualité.
Comment et quel retentissement espérez-vous pour cette édition ?
Après la leçon inaugurale sur la thématique des radicalismes suivie d’une discussion poussée et animée par les plus grands experts en la matière, je crois que nous aurons déblayé ce vaste champ aussi complexe pour en finir avec les malentendus, les stéréotypes et les présupposés alimentant toutes sortes d’amalgames. Vous savez, il faut désormais, de plus en plus, que nous-mêmes musulmans prenions en charge les questions qui nous concernent au premier chef avec lucidité et le nécessaire courage d’autocritique préalable à toute prise de conscience qui se veut efficiente et constructive. Des panels de haut niveau suivront avec la participation du monde universitaire, de la société civile, des associations islamiques et communautés confrériques du pays. Nous souhaiterions, conformément aux orientations du Comité scientifique validées par la Hadra, qu’à l’issue du Symposium, un message fort et solennel de Tivaouane soit adressé à la Oummah et au monde et porté par la toute communauté musulmane et nationale au service de la paix et de la concorde. S’il le faudra, nos dirigeants politiques devront porter ce message dans les grandes instances de la Oummah et sur le plan international, au moment où nous vivons malheureusement au rythme des violences inouïes et souvent gratuites au nom de l’islam alors que notre religion est innocente de tout discours de haine.
Justement quelle réponses espérer de l’Ecole de Tivaouane précisément dans ce sens ?
C’est cela le cœur du sujet dont nous débattrons tout au long de cet évènement. Cet aspect sera largement pris en charge sous plusieurs angles. Mais nous pouvons déjà dire qu’à travers l’Ecole de Tivaouane, partant des écrits, enseignements et attitudes de Cheikh El Hadji Malick Sy, de grandes leçons peuvent être tirées. Je me limiterais peut-être à la manière dont il a pu mener son action éducative, développé une stratégie pour contourner tous les écueils de l’Administration coloniale hostile à son action et réussir la révolution culturelle qui a façonné la Tijaniyya sénégalaise et l’islam de manière générale, sans effusion de sang, sans heurts interconfessionnels, sans déstructuration de la société qu’il a pu, néanmoins, profondément changer. A l’heure de tous les débats sur des notions aussi importantes que le Djihad, l’extrémisme religieux menant à des actions violentes qui ternissent injustement l’image de l’Islam, le modèle de Cheikh El Hadji Malick Sy, mérite d’être revisité et revalorisé en direction de notre jeunesse en interrogation au point d’importer des réponses parfois inadéquate à la crise des valeurs qui traverse notre société.
Mais, une telle initiative qui arrive vraiment en son heure ne mériterait-elle pas d’être élargie à toutes les communautés religieuses ?
Vous soulevez là un point très important. Justement, le Symposium de cette année a voulu prendre en charge ce besoin d’une action inclusive et d’une mobilisation de toutes les forces du pays face à un phénomène qui hante le sommeil de nos dirigeants et impacte négativement sur notre marche vers le développement et l’émergence. Un panel entier est consacré à une réflexion sérieuse sur les possibilités de mise en place d’un cadre unitaire des organisations religieuses au service de la paix à la suite d’autres initiatives dans ce sens. Je crois que sur ce point, nous sommes en parfaite synergie avec les autres composantes religieuses du pays mais surtout en conformité avec l’enseignement de Cheikh El Hadji Malick Sy qui avait tenu à consacrer le dernier chapitre de son important ouvrage, Fâkihat al-Tullâb, au dépassement nécessaires des divergences et à la coexistence constructive dans le respect. Déjà une bonne piste offerte à un monde en crise par l’Ecole de Tivaouane, qui pourrait aider à sortir des murs de l’enfermement identitaire générateur de conflits et, ainsi, jeter les nouveaux ponts d’un dialogue salvateur.